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Joan Court

Joan Court a passé une grande partie de sa vie à travailler pour différentes causes humanitaires avant de s’investir dans un mouvement de libération animale très actif à Cambridge. Elle a 92 ans et est végane [1].

D’où viennent ces deux dindes de Noël ?

On m’a dit qu’elles avaient été trouvées dans un fossé, probablement tombées d’un camion. L’une d’elles s’appelle Harry, l’autre n’a pas encore de nom [2]. Ce sont des adultes. Elles ont besoin de voir un vétérinaire avant d’aller au merveilleux sanctuaire d’Hillside [3]. Tiens, j’ai la photo d’une dinde qui s’appelait Sidney. C’était un brave garçon qui aimait monter les escaliers pour suivre Ken et ramassait tout ce qui était de couleur orange.

Combien de temps avez-vous été végétarienne ?

Je l’ai été plus ou moins régulièrement à partir de mes 18 ans, mais je trichais un peu pendant la guerre. Maintenant, je ne triche plus ! Voilà plus de quinze ans que je suis végane, parce que le végétarisme ne sert à rien.

Comment votre aventure humanitaire a-t-elle commencé ?

Mon frère et moi avons été élevés par une mère alcoolique. J’étais à peu près illettrée lorsque j’ai commencé ma formation d’infirmière à l’hôpital Saint-Thomas de Londres. Puis je me suis intéressée à la littérature tout en devenant sage-femme pendant la guerre. Je travaillais plus à domicile qu’en milieu hospitalier. Sous les bombes, c’était effrayant ! Je me suis intéressée à Gandhi et au Mouvement pour l’indépendance de l’Inde en lisant Kipling. Dès que la guerre s’est terminée, je suis allée à Calcutta grâce à la société des quakers, afin de lister le matériel nécessaire à l’ouverture d’un dispensaire. J’y suis surtout allée en tant que sage-femme pour sauver des vies d’enfants et de mères.

Comment êtes-vous entrée en contact avec les quakers ?

Lorsque j’étais infirmière, des gens m’ont entendue parler de végétarisme et de pacifisme. Quelqu’un m’a conseillé d’assister à une réunion de quakers. J’y suis allée bien que je sois bouddhiste, que les quakers soient de classe moyenne et qu’ils affectionnent la bureaucratie.

Que s’est-il passé en Inde ?

Mon premier boulot consistait à aider les personnes qui avaient subi des inondations. Ces gens n’avaient pas de nourriture ni d’eau potable, le cholera était très répandu. Nous utilisions un petit bateau de pêche pour les récupérer, les réhydrater… Au bout de deux ans, j’ai voulu ouvrir une maternité à Calcutta. J’ai rencontré un couple de bénévoles humanitaires qui m’ont hébergée en plein centre de Calcutta. Notre côté de la rue était hindou, l’autre musulman. Les émeutes ont commencé l’année d’après. Comme personne ne pouvait plus marcher dans les rues, les musulmans me posaient des questions depuis leur toit pour leurs enfants, etc.

Comment avez-vous rencontré Gandhi ?

J’ai eu beaucoup de chance ! Ça s’est produit dès la première semaine grâce aux quakers. L’un des médecins m’a demandé de rencontrer Gandhi. Je m’en souviens très bien : il faisait sombre, son visage était illuminé par une lanterne. Après ça, je suis allée à beaucoup de ses réunions. Je ne le dérangeais pas parce qu’on ne fait pas perdre son temps à un saint. Plus tard, on m’a demandé de le suivre et de l’aider dans sa marche vers les villages éloignés. Gandhi aimait être accompagné d’une jeune femme qui marchait dans le fossé pour qu’il lui passe le bras autour des épaules. Il voulait que j’enseigne aux femmes un hymne qu’il affectionnait, When I Survey the Wondrous Cross, pour les aider à surmonter la violence qui avait cours dans les villages. Gandhi avait l’air tellement fort ! Sa condition physique était excellente malgré l’apparente finesse de son corps. Il s’inquiétait à propos du lait. Il emmenait sa chèvre avec lui partout où il allait pour être certain de ne pas consommer le lait d’un animal maltraité. Il espérait déjà qu’on puisse trouver un substitut parce qu’il connaissait la condition des vaches.

Combien de temps êtes-vous restée en Inde ?

Je suis revenue en 1948 à cause d’une fièvre terrible. Il est impossible de se protéger les jambes lorsqu’on progresse dans les inondations. C’est alors que j’ai entrepris de passer un diplôme de santé publique. Ce faisant, j’ai aussi rencontré un Américain. Or il y avait un poste d’infirmière équestre à pourvoir dans les Appalaches. Comme je suis une aventurière romantique, j’y suis allée, mais je ne montais pas à cheval. Il portait le matériel d’infirmière, je marchais à côté. Nous avions une très jolie maison en rondins de bois perdue dans les montagnes. Je devais m’occuper d’une centaine de familles d’origine écossaise. Les gens étaient pauvres et tiraient sur tout ce qui bougeait. J’ai passé deux ans dans les Appalaches, c’était très beau !

Mon aventure amoureuse s’est terminée, j’ai donc cherché un nouveau travail. Les Nations unies m’ont demandé d’aller au Pakistan. Je n’arrivais pas à y croire ! Je suis alors partie de ces magnifiques chemins de montagne pour former des sages-femmes au Pakistan, cours de bicyclette inclus ! J’étais très bien payée, on m’offrait la première classe pour tous mes déplacements. J’ai passé deux ans à Lahore et deux autres à Karachi.

Et la burka à cette époque ?

Ce n’est pas un phénomène moderne ! La plupart des familles pauvres n’avaient qu’une seule burka. Les femmes d’une même famille portaient donc le même vêtement, les unes après les autres, tout contre les voies respiratoires. C’était un facteur de propagation de la tuberculose.

Pourquoi avoir quitté ce poste en or ?

J’étais une privilégiée, mais je voulais obtenir un diplôme universitaire. J’ai mis de l’argent de côté pour aller étudier au Smith College du Massachusetts, qui était très cher parce qu’il y avait une formation d’avant-garde en pratique psychodynamique [4]. Je me suis spécialisée dans la santé mentale et je me suis bien débrouillée. C’est là que j’ai compris que je n’étais pas mauvaise pour l’apprentissage !

Quel genre de travail avez-vous réussi à trouver avec votre nouveau diplôme ?

La Société nationale pour la prévention des cruautés infligées aux enfants (NSPCC [5]) cherchait des travaux pionniers sur les parents violents. Lorsque j’ai démarré l’unité de Londres, personne ne voulait croire que des parents pouvaient battre leurs enfants à mort. Je suis retournée aux États-Unis pour rassembler des informations spécialisées. Celles-ci montraient que la plupart des enfants qui présentaient des fractures et des ecchymoses avaient subi de mauvais traitements de la part de leurs parents. J’ai lancé un appel aux mères pour m’aider à monter l’unité et j’ai reçu beaucoup de réponses de la part de mères qui avaient battu leurs enfants. Il était inutile de les confondre puisqu’elles voulaient aider. Peut-être avaient-elles été battues elles-mêmes. Elles m’ont aussi appris qu’il ne fallait faire confiance à personne. Les gens mentent comme des arracheurs de dents au sujet des enfants battus. Lorsque vous êtes une infirmière, vous ne remettez pas en cause ce que les gens vous disent. Lorsque vous devenez une travailleuse sociale, vous apprenez que tout le monde ment !

Combien de temps cela a-t-il duré ?

J’ai travaillé sur ce projet pendant quatre ans pour améliorer l’identification des cas de violences faites aux enfants et la façon de gérer le problème. Mon unité s’est développée en centre de connaissances sur le sujet. Ce faisant, je suis devenue célèbre ! Pourtant, on m’a démise de mes fonctions. Je m’étais effectivement opposée à l’attitude punitive du NSPCC envers les parents, parce que cette approche est inefficace, sauf dans de très rares cas où il y a danger. L’important, c’est d’identifier les mauvais traitements lorsqu’ils en sont à leurs débuts. Un enfant qui a été battu une fois l’est à nouveau. Comme on m’a démise de mes fonctions, c’est devenu un sujet d’ampleur nationale.

Qu’avez-vous fait alors ?

On m’a recrutée au ministère de la Santé. Les services m’ont demandé d’analyser les abus envers les enfants dans la société et de faire un travail d’expertise pour les tribunaux. J’ai passé cinq ans très ennuyeux à travailler pour le gouvernement parce que je n’aime pas la bureaucratie ! Cela dit, j’ai tout de même appris à m’adresser à un tribunal en tant qu’experte, ce qui s’est avéré intéressant par la suite…

Pourquoi avez-vous arrêté cette activité ?

À cause de l’âge de la retraite ! Par un concours de circonstances exceptionnelles, on m’a proposé d’étudier l’anthropologie à Cambridge en 1977. Au cours de ma deuxième année, j’ai ramassé un prospectus pour une manifestation contre la vivisection à Cambridge. J’y suis allée et c’est ainsi que je suis entrée dans le mouvement pour les droits des animaux. Nous avons monté un groupe très actif, Animal Aid Cambridge. Nous organisons des manifestations, passons des nuits de veille [6]… La routine, quoi ! J’ai aussi conduit deux grèves de la faim pour la cause.

En tant qu’activiste pour la cause animale, qu’avez-vous réussi à faire progresser ?

Nous avons arrêté la construction d’un énorme laboratoire. D’ailleurs, on y travaille encore ! Nous bénéficions maintenant de la liberté d’information. C’est un dispositif légal très commode pour savoir ce qui se passe dans les laboratoires : il suffit d’écrire aux responsables pour obtenir une réponse. Nous avons également des taupes. Bien souvent, les étudiants s’intéressent au mouvement, puis oublient un peu. En ce moment, le groupe est très remonté ! Je crois à la destruction de matériel pour obtenir la libération des animaux [7]. Nous luttons contre les abattoirs. J’en ai visité un. C’était bien pire que ce que j’imaginais. J’ai aussi participé à un sabotage de chasse et n’ai pas hésité à m’embarquer sur le Farley Mowat de Sea Shepherd [8] à l’âge de 85 ans. C’était une campagne merveilleuse contre la chasse à la baleine. Je suis une révolutionnaire !

Vous n’avez pas le mal de mer ?

Moi non, mon chat si ! Je ne peux plus marcher bien loin, mais j’arrive quand même à faire des histoires en restant dans mon fauteuil ! Malheureusement, je n’arrive pas à me faire mettre en prison. Tous ceux qui sont allés en prison ont préparé des diplômes universitaires ! Je ne me suis fait arrêter que trois fois par la police.

Comment êtes-vous devenue végane ?

Je suis devenue végane lorsque j’ai vu ce qui se passait dans l’industrie laitière. Je tiens des stands sur le véganisme. Je suis membre de la Vegan Society, mais je suis plus révolutionnaire que ça : ma priorité est de sauver des animaux !

Propos recueillis et traduits par Constantin Imbs

Août 2011

Notes :
1. Joan Court est l’autrice de deux autobiographies : In the Shadow of Mahatma Gandhi, Selene Press, 2002 et The Bunny Hugging Terrorist, Selene Press, 2009.
2. La petite dinde s’appelait Ronnie. Elle n’a malheureusement pas survécu. Lorsqu’elles ont été transférées au sanctuaire, leurs noms ont été mélangés. Aujourd’hui, Harry s’appelle donc Ronnie.
3. Plus d’informations sur hillside.org.uk (site en anglais).
4. Voici la définition que donne l’Encyclopédie Larousse sur Internet de l’adjectif psychodynamique : « se dit du jeu de forces à l’oeuvre dans le psychisme, tel que la psychanalyse l’a mis en évidence, et de l’effet des causes psychiques sur l’existence du sujet » (larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-autre/psychodynamique/84080).
5. Plus d’informations sur la NSPCC (National Society for the Prevention of Cruelty to Children) sur nspcc.org.uk (site en anglais).
6. Plus d’informations concernant ce type d’actions au Royaume-Uni sur animalaid.org.uk/h/n/AA/HOME (site en anglais).
7. Ces propos n’engagent pas la Société végane.
8. Plus d’informations sur seashepherd.fr.